DE FELICITATE
FRAGMENTUM
Divitias ingentes plurimi maiorem in modum admirantur et non solum felicitatem, sed vitam quoque hanc nostram sine his paene nullam existimant. Quae opinio cum sit letalis et perniciosa, adeo tamen in animis vulgi invaluit, ut nihil audire aut velit aut possit. Nam, si quis adversus eam quippiam tentet, mox omnium et suffragiis condemnatur et sibilis exploditur. Modestiores sane in hac re plerique ex Peripateticis sunt, qui, etsi divitiis nonnihil tribuunt, vitam tamen beatam sola virtute effici posse confitentur. Ego vero affirmaverim divitias non tantum libidinum vitiorumque omnium, verum etiam calamitatum atque miseriarum fontem et originem esse neque improbabili, ut mihi videtur, ratione, si quis saltem haec nostra iudicio libero et nequaquam contentionis certaminisque avido evolverit. Difficile quidem est id, quod polliceor, praestare propter eorum multitudinem, qui pecuniam ante omnia quaerendam esse simul cum ipso matris lacte hauserint; erit tamen operae pretium errori, quo mortales imprimis laborant, pro viribus obviam ire et inveteratas has cupiditatum sentes, quae prorsus exstirpari et ex animo evelli non possunt, saltem temperare et ad modum mensuramque reducere, ut scilicet contenti mediocribus facultatibus et his, quae ad usum domesticum sufficiunt, quicquid superfluit, neque appetendum neque numerandum iudicent. Pauper etiam, cui necessaria quoque minime contingunt, ne propterea desperet, utpote facilius et beatius iter ad beatitudinem nactus, si tamen contemptis his, quae fortuna, ut dare, ita et auferre potest, se ipsum expendet et, ad quid natus sit, diligenter studioseque considerabit. Sed, quoniam nostra oratio circa hoc potissimum versabitur, ut ostenderemus neque divitias ad felicitatem conferre neque paupertatem impedimento esse, libet attingere philosophorum de summo bono sententias, non omnes, - id enim paene infinitum esset, - sed potiores, docereque, quicquid ex his tibi delegeris, nullum ad id consequendum in divitiis praesidium esse. Herillus omnia ad scientiam refert, qui etsi perpaucos astipulatores habet, concedamus tamen hoc ei, quando plerosque magni nominis viros scientiae gratia longe lateque peregrinatos novimus et totam aetatem in exquirendis occultis naturae causis traduxisse.
Num tandem dives aliquis profunde acuteque cogitare poterit et aut Anaxagorae homoeomeriam scrutari aut Platonis investigare numeros, qui villicos familiamque obstrepentem assiduo audit ? Cogitur hos messi, vindemiae faenisicioque praeficere, illorum negligentia, importunitate furtisque offendi, circa penum horreaque exigere nomina rationesque. Inter hasne sollicitudines ullum enitescet ingenium? Multis ait Annaeus Seneca ad philosophandum obstitisse divitias. Has Democritus non solum contempsisse dicitur, sed etiam oculos sibi effodisse, ne per visum earum a rerum latentium contemplatione avocaretur. Plato etiam unica villa eademque et deserta et pestilente delectatus est, ut videlicet libidinis impetu assiduis aegritudinibus fracto commodius philosophiae incumbere posset atque ut discipuli sui nullam praeter aurium voluptatem sentirent. Crates inter Thebanos proceres et dives et nobilis magnum auri pondus in mare proiecit. Neque enim putaverunt summi hi viri se et sapientiae et rei familiari simul vacare posse. Hoc eodem animo gravissimi quique philosophorum fuerunt. Xenocrates et Alexandri et Antipatri munera aspernatus est. Idem erat Diogeni Cynico pera, quod regibus diadema, qui veluti certabundus cum illis de veritate regni baculo vice sceptri gloriabatur. Apuleius non incelebris Platonicus gaudet sibi ab accusatore obiici paupertatem, crimen, ut ipse ait, et acceptum philosopho et ultro profitendum. Ipse innumeros vidi non tantum bonarum artium studiosos, sed etiam mirabili natura acerrimoque praeditos ingenio, quoniam locupletes erant, semper in imo haesisse. Neque enim hoc genus hominum unquam ad frugem alicuius excellentis doctrinae pervenire potest ; si qui tamen in tanto doctorum numero opulenti fuerunt, quibus fortasse meliore luto finxit praecordia Titan, hi ita possidebant divitias, ut magis audirent suas esse, quam scirent. Contra autem multi ex magnis deiecti fortunis in litteris clari evaserunt. lubam regem captivitas ex immundo et barbaro celeberrimum sriptorem reddidit. Et, ne semper vetera et nimium obsoleta loquar, quid tandem aliud Thomam Aquinatem, nisi amissio patris et patriae vastitas, ad summum et philosophiae et Christianae theologiae culmen perduxit? Taceo inopem illam doctorum turbam, quae se voto quoque ad paupertatem tolerandam obligavit, quando ipsos pictores, architectos, statuarios, marmorum sculptores ceterosque id genus inopia atque venter magister artis, ut ait Persius, ingeniique largitor claros fecerit, nisi putemus Polycletum, Apellem, Democratem, Lysippum inter opes deliciasque educatos ad tantam peritiam suarum artium pervenire potuisse .…
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La plupart des hommes admirent de façon excessive les immenses richesses, et ils pensent non seulement que le bonheur, mais presque la vie elle-même ne comptent pour ainsi dire pas sans elles. Cette opinion, quoique funeste et pernicieuse, s’est cependant si profondément enracinée dans l’esprit du peuple qu’il ne peut ni ne veut rien entendre. Car si quelqu’un tente de s’y opposer, il est aussitôt condamné par le jugement de tous et chassé à coups de sifflets.
La plupart des péripatéticiens sont plus modérés sur ce point : bien qu’ils accordent quelque valeur aux richesses, ils reconnaissent néanmoins que la vie heureuse ne peut être obtenue que par la seule vertu. Quant à moi, j’affirmerais que les richesses ne sont pas seulement la source et l’origine de tous les désirs et vices, mais aussi des malheurs et des misères, et cela selon une raison, à mon sens, impossible à désapprouver — du moins si l’on veut examiner ces choses avec un jugement libre et sans esprit avide de dispute ni de rivalité.
Il est certes difficile d’accomplir ce que je promets, en raison du grand nombre de ceux qui ont, pour ainsi dire, sucé avec le lait maternel l’idée qu’il faut avant tout rechercher l’argent. Cependant, l’effort en vaudra la peine : il s’agit de combattre, autant que possible, cette erreur dont les mortels souffrent avant tout, et de modérer ces ronces de convoitise, invétérées et impossibles à arracher tout à fait de l’âme, mais qu’on peut du moins adoucir et ramener à la mesure. Ainsi, contents de moyens médiocres et de ce qui suffit aux besoins domestiques, ils jugeront qu’il ne faut ni désirer ni même compter tout ce qui dépasse le nécessaire.
Le pauvre même, à qui manquent aussi les choses indispensables, ne doit pas pour cela désespérer, puisque, ayant méprisé ce que la fortune peut aussi bien donner qu’enlever, ayant trouvé un chemin plus facile et plus sûr vers le bonheur, se connaîtra lui-même et considérera avec soin et ardeur à quelle fin il est né.
Mais puisque notre discours portera principalement sur ceci — montrer que les richesses ne contribuent en rien au bonheur et que la pauvreté n’y fait pas obstacle —, il convient de rappeler les opinions des philosophes sur le souverain bien, non pas toutes (car cela serait presque infini), mais les principales, et de montrer que, quelle que soit celle que tu choisisses, les richesses ne peuvent en rien aider à l’atteindre.
Hérillus rapporte tout à la science ; et bien qu’il ait fort peu de partisans, accordons-lui cela, puisque nous savons que beaucoup d’hommes illustres, par amour de la science, ont voyagé au loin et ont passé toute leur vie à rechercher les causes cachées de la nature.
Maintenant, un homme riche, pourra-t-il jamais penser profondément et avec acuité, et examiner soit l’homéomérie d’Anaxagore, soit les nombres de Platon, lui qui entend sans cesse le vacarme de ses intendants et de toute sa domesticité ? Il est forcé de confier à ceux-ci la surveillance des moissons, des vendanges et des fenaisons ; d’être blessé par leur négligence, cruauté et leurs vols ; de vérifier les registres et les comptes de ses greniers et de ses provisions. Au milieu de ces soucis, quel esprit pourrait briller ?
Sénèque le dit : pour beaucoup, les richesses ont été un obstacle à la philosophie. Démocrite, non seulement, dit-on, les méprisa, mais encore se creva les yeux, de peur que la vue des choses extérieures ne le détournât de la contemplation des réalités cachées. Platon lui aussi se plut dans une unique demeure, à la fois solitaire et malsaine, afin, une fois les ardeurs du désir brisées par les maladies continuelles, de pouvoir se consacrer plus commodément à la philosophie et pour que ses disciples ne connussent d’autre plaisir que celui de l’ouïe.
Crates, riche et noble parmi les Thébains, jeta un grand poids d’or dans la mer. Car ces hommes éminents ne pensaient pas qu’on pût à la fois se consacrer à la sagesse et s’occuper de ses biens domestiques. Ce fut dans le même esprit que se comportèrent les plus considérables des philosophes. Xénocrate repoussa les présents d’Alexandre et d’Antipater.
Pour Diogène le Cynique, sa besace tenait lieu de diadème aux rois : rivalisant, pour ainsi dire, avec eux dans la recherche de la vérité, il se glorifiait de son bâton comme d’un sceptre royal. Apulée, platonicien renommé, se réjouissait qu’on lui reprochât sa pauvreté : un crime, disait-il, qui sied au philosophe et dont il doit même parler avec fierté.
Pour ma part, j’ai vu d’innombrables hommes, non seulement passionnés des nobles arts, mais encore doués d’un esprit admirable et d’un esprit très pénétrant, demeurer toujours dans les profondeursde la médiocrité, simplement parce qu’ils étaient riches. Car ce genre d’hommes ne peut jamais parvenir à la fécondité d’un savoir supérieur. Cependant, si parmi un grand nombre de savants, certains furent riches — ceux dont, peut-être, le Titan façonna le cœur avec une argile meilleure —, ils possédaient les richesses de telle manière qu’ils entendaient plutôt dire qu’elles étaient à eux qu’ils ne le savaient eux-mêmes.
À l’inverse, bien des hommes, déchus d’une grande fortune, sont devenus célèbres par leurs écrits. La captivité fit du roi Juba — barbare et inculte auparavant — un écrivain illustre. Et, pour ne pas toujours évoquer des faits anciens et par trop délabrés , qu’est-ce qui mena Thomas d’Aquin au plus haut sommet de la philosophie et de la théologie chrétienne, sinon la perte de son père et la ruine de sa patrie ?
Je passe sous silence cette multitude de docteurs indigents qui se sont liés aussi par vœu à la pauvreté volontaire ; car même les peintres, architectes, sculpteurs, tailleurs de marbre et autres artistes du même genre ont été rendus célèbres par le besoin et par la faim, ce « maître de l’art et dispensateur du génie », comme dit Perse. À moins que nous ne croyions que Polyclète, Apelle, Démocratès et Lysippe, élevés dans l’opulence et les délices, aient pu atteindre à une si haute perfection dans leurs arts.
Je passe sous silence cette foule indigente d’hommes savants, qui se sont même engagés par vœu à supporter la pauvreté, puisque ce sont bien la misère et la faim — ce maître de l’art, comme le dit Perse, et ce dispensateur du talent — qui ont rendu célèbres les peintres, les architectes, les statuaires, les sculpteurs sur marbre et les autres de ce genre ; à moins que nous ne pensions que Polyclète, Apelle, Démocrite ou Lysippe, élevés dans l’abondance et les délices, aient pu parvenir à une si haute maîtrise de leurs arts ...
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