Adam Rosacius (Adamus Rocacius), Adam Rosacius z Karlsperka, Oratio de Boemiae reviviscentia

Adam Rosacius (Adamus Rocacius), Adam Rosacius z Karlsperka, est un érudit, professeur de rhétorique,  sur qui nous disposons de peu d’informations. Il est né aux alentours de 1560 à Sušice (Schüttenhofen). Il fait ses études à Prague, y devient professeur, puis est nommé recteur de l’école Michael (ou Saint Michel). Il enseigne ensuite dans une école secondaire à Nymburk (Nimbourg), puis est nommé en 1589 à l’école Saint-Henri de Prague, dont il devient recteur. Cependant, en 1594 il épouse une riche veuve à Sušice, s’installe dans sa ville natale et s’y consacre à la vie municipale tout en écrivant, en latin et en tchèque, des proses et une œuvre poétique qui lui valent de son vivant le titre de « poeta laureatus ». En 1604 il est honoré d’un blason et désormais d’une particule : « von Karlsberg ». Il se convertit peut-être au catholicisme après la bataille de la Montagne Blanche, meurt en 1624.

La déclamation solennelle d’un discours était une pratique honorifique, publique et officielle ; Rosacius se propose en 1613, mais doit attendre 1615, les 13 et 14 juillet, pour prononcer son « oratio », devant le roi Matthias II, à l’université Karolinum de Prague.

Le contenu est conforme, partiellement, au titre. Après les guerres et une épidémie de peste terrible en 1582[1] et plus récemment en 1613, Rosacius célèbre la renaissance de la Bohême après des années de troubles religieux, de guerre avec l’Empire ottoman, le problème de la succession dynastique de Rodolphe II et une importante réforme de l’Université en 1609. La défenestration de Prague (1618) est à venir, suivie de la guerre de Trente ans, l’optimisme de Rosacius est donc pour nous, a posteriori, la marque d’un espoir déçu. Mais le texte n’est pas politique, car  Rosacius célèbre surtout le principe du savoir universitaire, et louange longuement l’université saint Charles de Prague et ses érudits professeurs, au point que l’on est en droit de penser qu’il s’agit là de son vrai sujet.

Le latin de ce discours solennel est difficile ; nous sommes en présence d’un exemple de latin baroque, complexe et travaillé longuement. Les références antiques sont nombreuses, la période cicéronienne particulièrement riche, le voacabulaire est souvent à double sens, au service de métaphores nombreuses et d’énumérations fréquentes.

Je me suis servi de l’édition de Dana Martinková, publiée à Prague en 2000, aux éditions Oikouménê, dans la collection Fontes Bohemicorum (Adam Rosacius, Oratio panegyrica de Boemioe reviviscentia - Ree oslavující oziti Cech, ed. et tr. Dana Martínková, Praha, 2000.)

(Les extraits suivants correspondent aux trois premières pages du texte latin ; les pages du second extrait sont tirées du milieu du discours.)





[1] Le bilan à Prague pourrait s’établir autour de 30 000 morts en 1582 ; je n’ai pu trouver d’informations précieuses et chiffrées pour l’épidémie de 1613 qui paraît moins importante. 



Oratio panegyrica de Boemiae reviviscentia

In nomine sanctae et individuae Trinitatis, amen.

Quemadmodum ciconia, dum repetit suum nidum, mirifice sibi ipsi gratulatur et applaudit singulari quodam alarum motu,

inspicit et cunas et quae cunabula plumis                                                                                      

triverat, haec eadem ramis florentibus ornat,

ita egomet mihi gratulor (absit ab hoc dicto livor), gratulor, inquam, mihi multis modis, dum huius autoritatem loci in tanta frequentia post tot annos mihi contingere licuit, non alio fine, quam ut meam quoque gestientem laetitiam et de rediviva patria, qua post Deum nihil prius aut antiquius mihi est, fervidam gratiulationem aliquo saltem indicio commonstrarem. Neque enim ab re alienum est, imo cum lege naturae consentit, eum locum, in quo vitae initium aut vivendi rationem sumpseris, matris ubera suxereris, nutritus fueris, adoleveris et longum tempus triveris, seniorem repetere eidemque altrici de fortunarum accessionibus gratulari atque ad hoc munus studiorum, quibus ab ineunte aetate devinctus fueris, quaeque in hac palaestra multoties exercueris, suavissime divertere et pristinos actus hoc brevi exercitio quasi recolere, tum qualecunque specimen tuae olim professionis in hac rediviva patria dare ac proferre.

Au nom de la sainte et indivisible Trinité, amen.

De même que la cigogne, lorsqu’elle regagne son nid, se réjouit merveilleusement, applaudit par un mouvement particulier de ses ailes,                                                    

observe son nid et les couvées qu’elle a nourries de ses plumes,                                      

et enfin orne de branches fleuries ces mêmes nids,

ainsi je me félicite moi-même (que cette parole ne suscite pas l’envie), je me félicite, dis-je, de plusieurs manières : il m’a été permis en effet, après tant d’années, devant une si vaste assemblée, de me consacrer à ce lieu solennel, sans autre but que de montrer unpeu ma propre joie exubérante et ma fervente gratitude pour ma patrie restaurée, qui, après Dieu, est la chose la plus précieuse et la plus ancienne pour moi.

Il n’est pas non plus étranger à la raison, mais au contraire  en harmonie avec la loi de la nature, de revenir au lieu où l’on a commencé sa vie, où l’on a sucé le sein de sa mère, où l’on a été nourri, où l’on a grandi, et où l’on a passé de longues années. On peut alors revoir son ancienne nourrice et  et lui exprimer sa gratitude pour les bienfaits reçus, pour l'accroissement de sa fortune, puis se consacrer, avec le plus grand plaisir,à ce travail et à cet effort que tu as choisis dès ta jeunesse et auxquels on a maintes fois exercé ses forces.

Redivivam autem patriam mihi trifariam indigitare libet : Primum quidem respectu illius felicissimae et auspicatissimae lucis, ceu natalitiae, qua clementissimus et pietissimus Romanorum imperator sacratissimae memoriae Rudolphus II. religionem et confessionem ordinum regni Boemiae sub utraque communicantium ratam fecit atque academiam hanc cum consistorio iisdem transcripsit. Quae lux optatissima quotannis solenni ritu publicisque conventibus et laetis concentibus recoli et commemorari et contionibus orationibusque panegyricis certatim laudari atque celebrari debeat. Ea est nona mensis Iulii dies, quae erat feria quinta post divi Procopii a. D. 1609, prout datum diploma caesareum in clausula finali isthanc diei simul et anni circumstantiam cum hoc anno et cum die congruentem continet. Deinde ratione optatissimae et desideratissimae pacis, quam tandem post tot et tantos eiusdem patriae non solum tumultus, sed et consecutos ruinos et susurros beneficio omnipotentis Dei operaque augustissimi et fortissimi Romanorum imperatoris et nostri regis, domini, domini Matthiae etc., nacti revera αναβιώσκεσθαι et vita nova perfrui respirareque videmur. Etsi multi dubiam illam pacem neque duraturam existimarint et multa ex multis ariolando opinandoque putide et petulanter argutari et blaterare ausi fuerint, eo praesertim tempore, quo caesarea Maiestas hinc discedebat, tamen opinione sua falsos esse et iniqua suspicione deceptos nunc facile iudicatu cuique est, siquidem optata pace nobis quam iucundissime perfrui liceat. Postremo ratione liberationis a gravissima pestilentia, irae divinae signo et poena a Deo nobis a. D. 1613 immissa, quam quidem insueta et horrenda aeris et partium anni istius intemperies exasperavit, sed iam divina bonitas pro immensa misericordia depulit. Quae tria nobis invicem congratuari nostrumque gaudium tam verbis quam scriptis testari merito debemus.

 

Cette patrie renaissante, je veux l’invoquer de trois façons. D'abord avec respect, en raison de ce jour béni et tellement heureux, que l'on peut considérer comme un jour de  naissance, lorsque l'empereur romain Rudolf II, de vénérable mémoire, d'une bonté immense et d'une grande piété, a reconnu la religion et les croyances des états du royaume de Bohême qui acceptaient la confession "adoptant les deux religions" et leur a remis cette université et le consistoire. Ce jour tant désiré devrait être commémoré chaque année par des rassemblements publics solennels, des chants joyeux, et loué et célébré avec ferveur lors de réunions de panégyriques. Il s'agit du neuvième jour du mois de juillet, c'était un jeudi après la fête de saint Procope, l'an de grâce 1609. Telle est la datation de la lettre impériale, qui dans la clause finale mentionne, en ce qui concerne l'année et le jour, une information identique à cette date. Ensuite, en mentionnant la paix si désirée et tant attendue, que nous avons enfin obtenue, non seulement après de nombreux et grands troubles dans la patrie, mais aussi après des rumeurs incertaines et des nouvelles peu fiables, grâce à la grâce du Tout-Puissant et par l'intervention du plus noble et du plus courageux empereur romain, notre roi, Matthias, etc. Ainsi, nous renaissons, nous jouissons d'une nouvelle vie et respirons à nouveau. Beaucoup cependant pensaient qu'il s'agissait d'une paix douteuse, qui ne durerait pas longtemps, émettant usant d’ hypothèses et conjectures, et osaient parler de manière dégoûtante et vaine, surtout à l'époque où son Altesse Impériale s'était éloignée. Désormais, combien leur hypothèse était trompeuse et comment ils se sont laissés duper par des soupçons injustes il est loisible d’en juger : nous pouvons en effet jouir de la paix désirée dans la plus grande félicité. Enfin, en mentionnant la libération d’une très grave épidémie de peste , signe de la colère divine et  châtiment envoyé sur nous par Dieu en 1613. Elle a été  rendue plus dure par un temps et des intempéries exceptionnellement rudes cette année-là, mais la bonté divine l'a chassée dans sa miséricorde infinie.Nous devons à juste titre nous féliciter mutuellement pour ces trois événements et manifester notre joie en paroles et en écrits.

 


Me igitur amor patriae redivivae, non ulla ingenii vis aut confidentia huc impellit, ut nimirum de his rebus verba faciam. Et quidem de felicissima luce, qua nobis lux veritatis auspicato affulsit, prius dicam idque bipartito, hoc est res duas in una orationis parte includam, de academiae autoritate, dignitate, forma, simul et de terna patriae nostrae visitatione, quatenus per temporis opportunitatem agere licebit, sermonem habiturus ac de ultima visitatione primo et ultimo loco, de prima et secunda medio loco dicturus. Posterius vero de hac desideratissima pace deque sublevata pestilentis epidemiae plaga et salubri aeris temperie restaurata meum qualecunque elogium breviter adiiciam. Quod dum vestro et assensu et suasu propono, magnifice domine, domine rector, magnifici, reverendi, generosi, nobiles, strenui, amplissimi, clarissimi et doctissimi auditores, quaeso, ut Deus Optimus Maximus faustum felixque faciat, vosque item, ut me desuetum eiusmodi exercitiis benigne audiatis atque hanc operam officii potius quam dicendi studio me suscepisse putetis. Et quidni hoc sperem, siquidem non est mihi haec oratio habenda aut coram imperita multitudine aut in aliquo conventu agrestium, verum apud illos, quos natura et genus finxerunt ad honestatem, benevolentiam, humanitatem, magnitudinem animi, amorem pietatis, studium verae religionis, gloriam ingenii, peritiam honestarum disciplinarum, ad omnes denique virtutes magnos homines et excelsos, ut qui eo genere nati atque iis imaginibus clari estis, ut nemini superiorum et priscorum hominum nobilitati facile cedatis, deinde tanta cura et diligentia in studiis humanitatis ac litterarum diu versati et exercitati, ut, quae ad veras et solidas virtutes attinent, ea omnia magnis laboribus vobis comparaveritis, adeo ut vehementer in comitiis, quae hisce superioribus annis agitabantur, miratus fuerim tam diu tanta patriae nostrae lumina latuisse nec omnibus et universis, ut par erat, prius innotuisse. Quoties enim in castro caesareo et loco publico, quoties in praetorio Novae Urbis Pragensis, quoties alibi collocutos et Latina lingua pure et emendate usos audivi (audivi autem multoties), toties singulari stupore perculsus tam admirabilem tamque excellentem in tantis viris doctrinam et virtutem summopere animo meo veneratus fui et apud alios, tum in diversoriis, tum domi, quum relationem rerum gestarum instituerim, praedicare non cessavi.

Ce n’est donc pas une compétence exceptionnelle ni une confiance en moi-même, mais bien l’amour pour ma patrie ressuscitée qui m’incite à parler de ces sujets. Je commencerai par évoquer ce jour béni et lumineux, où la lumière de la vérité s’est heureusement à nouveau levée sur nous. Je le ferai en incluant deux sujets dans une seule partie de mon discours. Je souhaite parler — si le moment s’y prête — de l’importance, du sérieux et du statut de l’académie, et en même temps des trois visites que notre patrie a reçues ; je parlerai de la dernière visite au début et à la fin, et des deux premières dans la partie centrale. Après quoi, j’ajouterai brièvement mon propre discourscertes insignifiant — sur cette paix tant désirée, sur la fin de l’épidémie de peste, et sur le retour d’un air sain.Je prends la parole avec votre accord et sur votre conseil, Votre Magnificence, Monsieur le Recteur, illustres, honorés, nobles, distingués, compétents, très influents, très renommés et très savants auditeurs, et je prie Dieu tout-puissant d’accorder chance et succès à cette entreprise, et vous, je vous demande de bien vouloir écouter avec bienveillance quelqu’un qui n’a perdu l’habitude de ce genre d’exercices, et de considérer que j’ai entrepris cette tâche par devoir plutôt que par désir de prononcer un discours. Et pourquoi ne pas l’espérer, puisque je ne m’adresse pas à une foule ignorante ni à quelque assemblée de paysans, mais à ceux que la nature et la naissance ont fait de grandes et éminentes personnalités, en matière d’honneur, de bonté, d’humanité, de générosité, d’inclination pour la piété, de zèle pour la vraie foi, de brillants talents, d’expérience dans les sciences nobles — bref, en toute vertu. Car votre naissance est si remarquable et vos ancêtres si illustres, que vous ne le cédez en noblesse à aucun de vos prédécesseurs, et vous vous êtes consacrés depuis longtemps, avec tant de zèle et de soin, aux études humanistes et à la littérature, que vous avez acquis, au prix de grands efforts, de véritables et durables qualités, si bien que j’ai  été étonné, lors des assemblées  passées, que de telles gloires de notre patrie soient restées si longtemps dans l’ombre, sans devenir universellement connues, comme cela aurait été juste. A chaque fois, en effet, que j’ai entendu, au château impérial, en public, au nouvel l’hôtel de ville de Prague, ou ailleurs, ces hommes s’exprimer en latin de manière correcte et irréprochable (et je les ai entendus bien des fois) — à chaque fois j’ai été frappé de stupeur, et  je me suis incliné avec un profond respect devant l’érudition remarquable et le talent exceptionnel de ces hommes, et lorsque, dans les auberges ou chez moi, je me suis mis à rapporter ce que j’avais vu et entendu, je n’ai cessé de les vanter auprès des autres.

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(A la fin de son discours, A. Rosacius évoque la peste de 1613. A lire sur la page dédiée)

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