Présentation de Bohuslav Hasišteinský z Lobkovic (1461-1510)

Bohuslaus Hassensteinius de Lobkowicz est né en 1461 au château de Hasištejn, en Bohême, dans une illustre famille noble germanisée. Il étudia à Bologne, Ferrare, obtint son doctorat en droit canonique en 1482, abandonna le hussisme pour le catholicisme. Sa vie ne comprend que peu d'événements notables :   devenu prélât il est nommé prévôt de Vyšehrad, est courtisan du roi Vladislas Jagellon ; pressenti pour devenir évêque d'Olomouc, il n'obtient pas le poste car le pape Innocent VIII s'oppose à sa nomination. Il voyagea aussi deux ans dans le pourtour méditerranéen, en 1490-1491, ce qui lui vaut parfois  le surnom d'Ulysse tchèque (généreusement attribué, mais il est vrai qu'au XVème siècle rares étaient les précurseurs du Grand Tour. L'essentiel de son activité séculière, en dehors de ses dévotions, consista à administrer avec son frère les terres et le château familial, qu'il transforma en centre intellectuel doté d'une vaste bibliothèque de 800 volumes (chiffre important pour l'époque). 

Son œuvre, qui comprend des lettres, quelques traités moraux et politiques, et surtout des poèmes, est écrite exclusivement en latin, ce qui explique son peu de retentissement aujourd'hui alors qu'il était considéré, à juste titre, comme le meilleur des poètes en langue latine de la Bohème. 

Hana Voisine-Jechova résume ainsi sa création littéraire : "Ses œuvres en vers et en prose, descriptives et contemplatives, s'inscrivent dans deux courants caractéristiques de l'humanisme tchèque : elles expriment le désir de vivre en paix de qui sait apprécier l'aisance matérielle et culturelle, et traduisent l'indignation, voire la résignation devant les désordres politiques et la dépravation des moeurs."   H. Voisine-JechovaHistoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001, p. 154.


Le premier extrait que nous  publions est un fragment de son essai De Felicitate (tiré de Bohuslav Hasišteinský z Lobkovic , Spisy Bohuslava Hasištejnského z Lobkovic Svazek I - Spisy prosaické, ed. Bohumil Ryba, V Praze : Nákladem České akademie věd a umění, 1933, 138 pages.) 

Bohuslav Hasišteinský z Lobkovic y développe une méditation typiquement humaniste, essentiellement nourrie de références grecques et latines (Sénèque, Apulée, Platon, Démocrite ...) et secondairement chrétiennes (Thomas d’Aquin), dans laquelle il fustige la richesse comme s’opposant à la vertu et au bien. L’auteur  s’inscrit clairement dans la lignée des philosophes stoïciens, qui distinguent les biens véritables (intérieurs, spirituels) des biens extérieurs (richesses, honneurs, plaisirs), avant d’élargir le propos à la création artistique qui, elle aussi, doit fuir les richesses, car la pauvreté stimule la créativité des artistes et des savants. Le latin du texte est particulièrement subtile et nuancé, très cicéronien dans son usage de la syntaxe : propositions infinitives,  subordonnées enchaînées, ablatif absolu, valeurs modales du subjonctif  (concession, hypothèse, but) ; le vocabulaire philosophique est classique. 

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DE FELICITATE

Divitias ingentes plurimi maiorem in modum admirantur et non solum felicitatem, sed vitam quoque hanc nostram sine his paene nullam existimant. Quae opinio cum sit letalis et perniciosa, adeo tamen in animis vulgi invaluit, ut nihil audire aut velit aut possit. Nam, si quis adversus eam quippiam tentet, mox omnium et suffragiis condemnatur et sibilis exploditur. Modestiores sane in hac re plerique ex Peripateticis sunt, qui, etsi divitiis nonnihil tribuunt, vitam tamen beatam sola virtute effici posse confitentur. Ego vero affirmaverim divitias non tantum libidinum vitiorumque omnium, verum etiam calamitatum atque miseriarum fontem et originem esse neque improbabili, ut mihi videtur, ratione, si quis saltem haec nostra iudicio libero et nequaquam contentionis certaminisque avido evolverit. Difficile quidem est id, quod polliceor, praestare propter eorum multitudinem, qui pecuniam ante omnia quaerendam esse simul cum ipso matris lacte hauserint; erit tamen operae pretium errori, quo mortales imprimis laborant, pro viribus obviam ire et inveteratas has cupiditatum sentes, quae prorsus exstirpari et ex animo evelli non possunt, saltem temperare et ad modum mensuramque reducere, ut scilicet contenti mediocribus facultatibus et his, quae ad usum domesticum sufficiunt, quicquid superfluit, neque appetendum neque numerandum iudicent. Pauper etiam, cui necessaria quoque minime contingunt, ne propterea desperet, utpote facilius et beatius iter ad beatitudinem nactus, si tamen contemptis his, quae fortuna, ut dare, ita et auferre potest, se ipsum expendet et, ad quid natus sit, diligenter studioseque considerabit. Sed, quoniam nostra oratio circa hoc potissimum versabitur, ut ostenderemus neque divitias ad felicitatem conferre neque paupertatem impedimento esse, libet attingere philosophorum de summo bono sententias, non omnes, - id enim paene infinitum esset, - sed potiores, docereque, quicquid ex his tibi delegeris, nullum ad id consequendum in divitiis praesidium esse. Herillus omnia ad scientiam refert, qui etsi perpaucos astipulatores habet, concedamus tamen hoc ei, quando plerosque magni nominis viros scientiae gratia longe lateque peregrinatos novimus et totam aetatem in exquirendis occultis naturae causis traduxisse.

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