A l’instar des universitaires italiens, les historiens de la littérature tchèque ont l’intelligence et la lucidité de considérer les auteurs ayant écrit en latin comme prenant toute leur place dans la littérature nationale de Tchéquie. Quand verrons-nous une histoire des littératures en France dans laquelle figureront Grégoire de Tours, Abbon de Saint-Germain, Bernard de Clairvaux ou Pierre Abélard ? Les Tchèques, il est vrai, n’ont pas eu à souffrir des conséquences politiques d’une Ordonnance de Villers-Cotterêts, ni de l’instauration d’une identité nationale par des monarques autoritaires.
Pourtant, comme l’écrivent justement H.Jechova-Voisine et J.Voisine : « Le sort des oeuvres écrites en latin reflète les paradoxes de l’histoire de la Bohême. Situé au carrefour de plusieurs cultures et tendances politiques, voire idéologiques, le pays en tire aussi bien sa richesse que ses hésitations et inconséquences, sa tolérance [...] et son intolérance, née de la crainte de perdre l’identité nationale et spirituelle. »[1]
Présent en Bohême dès le Xème siècle grâce à la liturgie chrétienne, le latin médiéval permet la diffusion de légendes, d’hagiographies et de Chroniques. A la Renaissance, les querelles et les guerres religieuses sont temporairement préjudiciables au latin ( langue de l’Eglise catholique honnie de certains), mais affectent finalement peu l’usage du latin puisque Jean Hus lui-même, par exemple, écrit et diffuse ses sermons et traités grâce au latin. La production littéraire, que ce soit avant ou après la victoire catholique, est alors très importante : textes scientifiques, historiques, artistiques (notamment grâce à la riche production poétique), rhétoriques viennent compléter le vaste panel de textes religieux et théologiques, tandis que les érudits poursuivent leur travail de traduction et de diffusion de textes écrits à l’étranger. [2]
L’histoire du latin en future Tchéquie se poursuit, comme le résume H. Jechova-Voisine : Une grande partie de la littérature écrite en Bohême ou par des auteurs d’origine tchèque a été écrite en latin, langue que les savants cosmopolites du pays utilisèrent jusqu’au début du XIXème siècle. »[3] Citons, entre autres, l’écriture de nombreux drames latins par les Jésuites, pour leurs élèves. [4]
La littérature de langue latine en Tchéquie est donc vaste, intrinsèquement associée à l’histoire de la Bohème (mais aussi de la Moravie, tant les deux provinces furent longtemps associées), peu connue en dehors de la Tchéquie et peu publiée, encore aujourd’hui .
Enfin, parmi tant d’autres, voici quelques noms illustres : Cosmas de Prague, Jindřich Zdík, Pierre de Zittau, Jean Hus, Augustinus Olomucensis, Sigismund Gelenius, Comenius, Bohuslav Balbin, Matouš Collinus z Chotěřiny, Bohuslav Hasištejnský z Lobkovic ...
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| Prague, depuis l'observatoire du Clementinum. |
[1] H. Jechova-Voisine, J. Voisine, « Poésie latine en Bohême : Renaissance et Maniérisme », Cultures d’Europe Centrale, H.S. N°2, Paris, 2002, p. 3.
[2] M. Svatos, « Tradition et invention de la littérature néo-latine en pays Tchèques aux XVIIème et XVIIIème siècles », in Baroque en Bohême, M. E. Ducreux, X. Galmiche, M. Petras, V. Vlnas ed., Université Charles-de-Gaulle Lille 3, 2009, p. 29-49.
[3] H. Voisine-Jechova, Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001, p. 17.

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